Au demeurant, on ne distingue rien de spécifiquement humain dans la nature de ces relations. Dans leur Introduction à la psychologie, les comportementalistes Tavris et Wade affirment que les principes élémentaires d’apprentissage sont les mêmes «pour toutes les espèces», du ver de terre à l’Homo sapiens. Au conditionnement classique (ou «conditionnement répondant»), déterminé par Pavlov dans la relation immédiate entre le stimulus et la réaction comportementale, vient s’ajouter la notion du «conditionnement opérant». Cette notion complexifie la relation et intègre la médiation de l’environnement dans les différentes déclinaisons de ce que Thorndike et Skinner ont appelé le «renforcement» ou la «punition». Ainsi opèrent la morale, les «superstitions» et les normes sociales qui vont déterminer le comportement et les modes d’apprentissage.
ةduquer consiste par conséquent à étudier la nature des relations entre les stimuli et les réponses réflexes ou conditionnées (sur le mode «répondant» ou «opérant»), ceci afin d’en prendre conscience aux différents stades de sa maturation intellectuelle et affective. Comme on peut le constater ici, l’individu (le sujet) est tout à fait secondaire dans l’analyse des processus d’apprentissage : nous sommes aux antipodes de la pensée de Piaget et de Freud, elles-mêmes déjà fort opposées.
Derrière les désaccords théoriques et scientifiques que nous venons de relever entre les trois écoles susmentionnées (qui se distinguent par la priorité donnée soit à l’agent cognitif, soit à l’agent affectif, soit, enfin, à l’agent de la réactivité génétique et physique), on conçoit que nous ayons affaire à trois conceptions différentes de l’être humain. La priorité accordée à certains axes dans l’approche des sciences expérimentales et de l’observation d’une part, et dans les méthodes d’analyse d’autre part, révèle dans chaque cas une philosophie spécifique de l’être et de l’éducation, avec ses postulats et ses objectifs. Il s’agit tout à la fois d’une conception de l’homme, d’une théorie de la connaissance et d’une philosophie des sciences : dans l’étude des modes d’apprentissage et des modalités de l’éducation des individus, l’épistémologie est voisine (dans une sorte de proximité inductive) de la métaphysique.
Il est intéressant de noter que les traditions africaines et asiatiques, les spiritualités hindouistes et bouddhistes, comme les religions et les différentes philosophies ont proposé à leurs fidèles un cheminement souvent opposé. En amont, la métaphysique, la cosmologie et le sens du créé déterminent une conception de l’homme, avec une existence, une essence et des finalités à atteindre. Ici, l’éducation – quels que soient les modes d’apprentissage – doit permettre de réaliser au mieux ces objectifs pour le bien et le bien-être de l’humain. Forcément holistique, l’approche ne peut se satisfaire du pôle strictement cognitif ou affectif, ou encore comportemental. C’est l’ensemble de ces dimensions qu’il importe de penser ensemble et d’enseigner concomitamment.
Poussant plus avant notre réflexion, nous pouvons remarquer qu’au-delà de la diversité et des contradictions entre les différentes théories sur les sources et les modalités de l’apprentissage, il existe des points communs et des aspirations similaires. Pour ce faire, il convient de renverser les perspectives et non plus d’approcher la question par les fondements, mais bien par les finalités. Ainsi, il ne s’agit pas de se questionner (ni de se disputer) sur les différentes conceptions de l’homme, mais de se demander – selon les différentes traditions ou écoles de pensée – si l’on considère que l’éducation devrait lui permettre d’exploiter au mieux ses potentialités. Le consensus n’est pas acquis, loin s’en faut, mais les divergences sont d’une autre nature, et les finalités communes nettement majoritaires. Il y a dans ces dernières de l’universel : tout en mettant parfois davantage l’accent sur telle ou telle dimension, l’espérance – au terme de l’éducation dispensée – consiste à voir naître un individu confiant, autonome, curieux, critique, créatif et solidaire, parfois audacieux et fondamentalement optimiste malgré les difficultés et les souffrances de la vie.
Chaque époque génère ses propres défis, l’ère de la globalisation étant une époque de bouleversements. Difficile d’accéder à la confiance, voire à l’autonomie et à la conscience critique, dans un monde où les anciens repères ont volé en éclats, où la peur et le malaise semblent partout régner et où le matraquage de la communication instantanée et de la publicité n’offre que peu d’espace aux débats critiques. Pour notre époque, il importe donc de nous réconcilier avec l’enseignement des spiritualités et des religions, avec l’art et la philosophie : ces trois savoirs de la « prise de distance », en objectivant l’objet d’étude et sa complexité, restituent au sujet son autonomie, son regard et sa propre complexité. L’éducation est ainsi l’acquisition des savoirs et des savoir-faire, mais également l’apprentissage de la distanciation… spirituelle, intellectuelle et esthétique.
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