La trilogie du reflet
Texte de Mohamed-Méhdi Sikal
Traduction de Mustapha KOUARA

L'avant-reflet
Courbé sous le poids de l'ombre que foudroyait impitoyablement le mirage du corps, il lui tenait à cœur de briser les chaînes du silence lancinant. Malheureusement, il ne pouvait qu'à peine souhaiter son dépouillement pour une nouvelle mue sous le regard de ces yeux scrutateurs et sournois, portés
:sur lui en comprimant le souffle entre les lignes des procès verbaux tracées par la main d'une complicité scélérate. Il disait dans l'une de ses lettres
"J'ai rêvé. L'expiation, semble-t-il, ne sera possible que lorsque sera tombée la statue. Ce n'est qu'au prix de ce sacrilège destructeur que le djinn sera dégagé des rites et dogmes d'obéissance où l'on entend le cadrer. Les jours s'envolent et emportent avec eux l'espoir. L'attente a tendance à
"!!se prolonger ainsi jusqu'à l'infini. Ni statue tombée, ni djinn émancipé
Du dehors parvenaient des aboiements. Le pas qu'on entendait s'approcher le foula sur la poitrine. La vie qu'il menait lui semblait porter l'étoffe
.d'une illusion. Il jeta alors au loin son porte-plume qui tombait par terre. Il déchira le papier blanc et partit en trombe vers le miroir

Le reflet
Voilà qu'il prenait son courage à deux mains! Il se décida enfin à se mettre devant la glace pour se dévoiler la face. Son regard fouilleur s'immobilisa soudain sur les quelques traits blafards. Dehors, le temps ombrageux s'apprêtait à tourner à l'orage. Il tomberait sûrement des pluies torrentielles pendant la journée! Par-delà le reflet, il s'aperçut que sa mine commençait à se défaire. Et combien pesait sur elle les terribles outrages du temps! L'éblouissante chimère passait à un mirage morose. Ses deux globes oculaires saillaient de stupéfaction: il promena sa main sur ces petits pans
.ombrés du visage. Mais il se soustrayait vite au regard du pâle reflet, répandant un soupir de désolation

L'après-reflet
Il venait de se réveiller en sursaut d'un rêve, tout tremblant de frayeur. Il en fit un récit sommaire à sa petite femme chérie et en parlait comme d'un cauchemar. Sa parcimonie habituelle en paroles ne put échapper à l'épouse. Elle lui expliquait le sens caché du rêve avec onction et lui dit à mi-voix: "Tu sembles aujourd'hui plus pâle que d'ordinaire." Pourquoi n'allait-il pas se jeter un œil dans le miroir? Il avait peur de recevoir, tel une injure, la vérité sur le
,visage. Il rougissait au fond de lui-même à l'idée de repasser par la rude épreuve et invoqua l'excuse que la buée qui couvrait la surface embrouillant
.en le déformant, le reflet. Ah! Si elle pouvait savoir ce qu'il avait enduré la veille! Il prit son manteau sous l'aisselle et disparut

:Elle racontait cette fois qu'avant de partir il lui disait
".Cette fois-ci, ne m'attends pas. Tu ne me reverras peut-être plus jamais"