Le pétrole est-il un enjeu stratégique ou un atout politique?
A l’instar des différents débats sur les relations économiques internationales et sur la mondialisation, le problème de la stratégie pétrolière, source d’énergie primordiale et vitale, s’est toujours posé avant tout comme à la fois un enjeu économique et politique.
Les transformations récentes, ou en cours, du système international, intensifient les recherches des économistes pour déterminer l’espace géopolitique des différents intervenants dans la politique mise en œuvre pour contrôler les échanges commerciaux, dont ceux des hydrocarbures, guidée par l’analyse des rivalités qui ont toujours prévalues.
Les dynamiques de l’économie mondiale et du système international depuis la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, ont conduit à l’émergence d’une super-puissance et la domination d’un seul Etat capitaliste (les Etats-Unis) sur la scène économique mondiale, voire pétrolière en insistant sur la nature- même du mode d’exercice du pouvoir dans le jeu économico- politique mondial.
La transformation du monde moderne et l’importance accrue et stratégique du pétrole, aussi bien pour les pays producteurs que les pays consommateurs, voire pour l’humanité entière, nous interpellent à plus d’un titre pour une analyse susceptible de répondre à plusieurs questionnements.
Il n’est nullement exagéré d’affirmer que l’époque moderne dans laquelle nous vivons s’intitule bien « l’époque du pétrole », pour ne reprendre que la citation de George Clemenceau qui disait au début du XXè siècle que « le pétrole est aussi précieux que le sang ». Il a été et demeure l’objet de bien des convoitises et la source de nombreux conflits depuis sa découverte.
Le pétrole a été et demeure aujourd’hui et pour toujours au cœur de la politique étrangère des pays industrialisés pour leur développement et leur puissance technologique et pour les pays producteurs, pour leur source de revenu principale.
Pourtant, comme cela est prouvé sur le terrain, ceux qui en bénéficient ne sont forcément pas ceux qui le produisent, mais bien ceux qui l’utilisent, à savoir les compagnies multinationales qui forment des super-puissances économiques dont les chiffres d’affaires dépassent largement les revenus mêmes des pays en voie de développement.
Pour ne citer que quelques exemples, le chiffre d’affaires des premiers groupes pétroliers mondiaux représente l’équivalent de 3 à 4 fois le PNB de certains pays exportateurs. Le chiffre d’affaires d’Exxon, premier producteur pétrolier mondial, s’élevait à la fin du dernier millénaire, à plus de 120,5 Milliards de dollars.
 Le PNB du Nigeria, en tant qu’Etat producteur, s’élevait par contre, à 118 Milliards de dollars ;
 Celui du Cameroun, à 30 Milliards de dollars ;
 Celui de l’Angola à 18,5 ;
 Celui du Gabon à 10,7 ;
 Celui du Tchad à 08, 5 Milliards de dollars.
On dit souvent que « pétrole et pouvoir sont nettement liés ». On dit souvent que le pétrole est une ressource qui ne profite pas entièrement aux populations des pays qui le produisent. De même qu’on dit que « le pétrole jaillit souvent dans des zones instables politiquement et économiquement ». L’exemple du Nigeria, de l’Angola, du Venezuela et de la Bolivie, les guerres du Golf et leurs enjeux en sont la parfaite illustration.
En définitive, beaucoup de choses ont été dites, notamment dans de nombreux pays ou le rôle des multinationales est trouble et peut tout influencer jusque dans la gestion des affaires de l’Etat, c’est-à-dire des pays hôtes.
Il n’est donc pas étonnant de nos jours de voir que la quasi-totalité des études économiques actuelles s’appuient entre autres, sur les aspects d’influence en matière de relations économiques internationales, vues sous l’angle stratégique des aspects géopolitiques.
LE PETROLE, UNE VRAIE SOURCE DE RICHESSE ET DE DOMINATION
Si nous nous reportons à l’histoire de l’or noir, nous saurons que le pétrole, importante source de richesse, appartient bien à l’Etat dans lequel il a été découvert. Mais, par manque de technologie et de savoir-faire, ces Etats producteurs font appel à des compagnies plus expertes dans le domaine, compagnies appartenant le plus souvent au monde capitaliste, et plus particulièrement aux Etats-Unis qui possédait à elle seule 5 des 7 gigantesques compagnies multinationales dans le monde, appelées les « Sept Sœurs », à savoir EXXON, MOBIL, TEXACO, GULF ET CHEVRON. Sauf SHELL et BP des 7 sœurs se trouvent être non américaines.
Depuis de nombreuses décennies, ces multinationales semblaient possédées d’une mystique bien particulière tant à l’égard des pays producteurs que des pays consommateurs.
Anthony Sampson, dans son livre « les Sept Sœurs » disait ceci : « Expertes au jeu des arrangements supranationaux, ces compagnies dépassaient sur le terrain les capacités des Etats ou elles opéraient. Elles avaient des revenus plus élevés que ceux de la plupart des pays ou elles exerçaient leurs activités ; leurs flottes de pétroliers totalisaient un tonnage plus important qu’aucune flotte nationale ; elles possédaient et administraient des villes entières en plein désert. Dans ces affaires de pétrole, elles échappaient aux lois de l’offre et de la demande, aux vicissitudes de la bourse, contrôlaient tous les rouages de leurs entreprises, vendaient leurs produits d’une filiale à une autre et se suffisaient virtuellement à elles-mêmes… »
Ces compagnies avaient en outre étendu leurs activités à d’autres secteurs industriels dont la pétrochimie, les charbonnages, les centrales atomiques, pour fabriquer du plastique, des engrais et des produits pharmaceutiques.
Y’A-T-IL VRAIMENT UNE STRATEGIE PETOLIERE ?
Le pétrole ne peut pas à proprement parler, être perçu comme un bien collectif. L’influence des facteurs non étatiques comme les multinationales qui offrent à l’action régulatrice des Etats son environnement économique et dans une large mesure, sa raison d’être, y est aussi largement sous-estimée.
Nous constatons de plus en plus de nos jours qu’il est très difficile de faire contrepoids à ce multinational surtout depuis leur fusion en groupes gigantesques tels que Exxon-Mobil, Chevron-Texaco, BP- Amoco, etc…. La fusion entre Total –Fina et Elf- Aquitaine a créé ce que d’aucuns présentent comme le quatrième géant pétrolier mondial et la première entreprise géante de France.
Il faut rappeler que, devant cette hégémonie remarquable des cartels pétroliers sur le monde productif et exportateur de pétrole, il était nécessaire pour les pays exportateurs de faire quelque peu un contre- poids par la création, dès 1960, de deux organisations, l’une régionale, l’OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole) dont le siége est à Koweït, et l’autre, internationale, l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) dont le siège est à Vienne.
Mais les multinationales ont accueilli avec réserve la création de l’OPEP car elle commençait à gêner leur business. Peu à peu, cette organisation s’est affirmée sur le terrain et commença à s’étoffer et imposer ses décisions sur la détermination des prix du baril. Pour la première fois, le pouvoir de fixer le prix du pétrole revint aux seuls pays producteurs et non aux multinationales.
Mais après la guerre israélo-arabe d’octobre 1973 et l’embargo imposé par les pays arabes sur le monde occidental, les compagnies internationales ont développé différentes stratégies visant à se prémunir de dangers éventuels dus à des blocages d’approvisionnement futurs et à protéger leurs intérêts.
Pour ce faire, des stratégies sont mises en oeuvre en amont et en aval dont le plus importantes sont les suivantes :
-La création dans le camp des Occidentaux, en février 1974 de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) en réaction aux vicissitudes de l’embargo suite à la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, en constituant un front des pays industrialisés en matière d’énergie.
- Reconstitution des réserves des multinationales en s’engageant dans les zones non – OPEP, par leur amélioration en prévision d’un quelque imprévu.
-Diversification de leurs activités (équipements électriques, hôtellerie, développement des recherches d’énergies nouvelles, etc. …).
-Restructuration de leurs actifs pétroliers dans le monde.
-Flexibilité géographique, en s’impliquant dans différents gisements offshore, terrestres et dans d’autres sources d’énergie.
-Flexibilité technologique, en optimisant tous les segments d’une chaîne énergétique, et en essayant de se placer en position de force avec les pays producteurs.
De toute façon, les multinationales, prises à part, sont toujours bénéficiaires et tirent toujours profit d’une situation quelle qu’elle soit, notamment dans les conflits. Elles sortent toujours indemnes et tirent leur épingle du jeu.
C’est ce qui nous amène à nous poser la question suivante : Est-ce que le pétrole et en particulier le pétrole arabe- jadis arme stratégique d’embargo- est un facteur de libération économique ou un facteur de consécration de la domination économique ?
Il n’y a pas de doute que le citoyen arabe ordinaire a toujours aspiré a vouloir utiliser cette ressource énergétique tant convoitée comme moyen de pression et de « marchandage politique » dans le domaine des relations internationales et sa consécration au profit des causes de libération nationale, de souveraineté, et du développement économique.
Le fait que le pétrole, par sa valeur intrinsèque et par la nature des circonstances historiques et politiques qui semblent dicter son influence sur les affaires, n’en constitue pas moins un moyen stratégique et politique plus qu’un moyen économique et commercial, du moment qu’il n’y a pas d’autre marchandise aussi stratégique qui peut le concurrencer de nos jours.
Il faut dire que la politique du monde occidental et de la puissante Amérique et par la même des multinationales et des faiseurs de politique étrangère ne reflète en définitive que la politique des intérêts, en premier et dernier ressort lorsqu’il s’agit de stratégie énergétique.
Il faut dire que cette puissance ne vaut que par la suprématie de la technologie et de la stratégie militaire de tout temps, de même que par la faiblesse des pays producteurs et autres pays «faibles» du Tiers-monde dans la maîtrise de l’exploitation de leurs richesses pétrolières, minières ou autres par manque de « know-how ».
Enfin, il faut dire en définitive, que, dans le domaine des relations économiques internationales, il n’y a pas de frontières, ni de sentiments, ni même d’amitié ; il n’y a que des marchés et des investissements, donc, des intérêts bénéfiques à toutes les parties.
Mohammed KHETTAOUI
Politologue, Enseignant à l’Université d’Alger