UNE TÊTE DANS
UNE ENCHERE SECRETE
Nouvelle de houcine filali
Traduit de l’arabe par DR Rabah Sebaa.
Quand le souverain apprit ce qui se passait dans son royaume, une grande et sourde affliction s’empara promptement de lui. Il convoqua précipitamment les membres de sa cour et leur ordonna avec une assurance déterminée : Conseillez-moi!
Ils lui répondirent avec empressement:
- C’est un manque de considération flagrant pour l’autorité de notre juste roi!
- Et quelles sont les voies et moyens qui vous semblent appropriées pour y remédier?
L’un des présents déclara avec une ferveur exaltée:
- Créons une police pour la répression du rire.
Un autre surenchérit:
- Elaborons des lois préventives qui interdisent le rire sans consultation de l’avis de Sa Majesté.
A l’issue de cet échange, Le roi désigna parmi ses sujets des hommes forts et robustes qu’il chargea d’espionner les personnes qui contreviendraient à la volonté et aux instructions de Sa majesté. La brigade de répression du rire
*****
Les gardes l’ont capturé avant de le conduire avec une raideur quelque peu affectée vers le roi. Le souverain le regarda avec un mépris enjoué et ordonna diligemment:
- Prenez-le et fouettez-le
Quelques instants s’écoulèrent avant que les bourreaux ne reviennent vers le roi, la mine déconfite et l’air atterré :
-Votre majesté, votre majesté
- Qu’y a-t-il ?
Il rit !! Il rit !!
- Battez-le !
-Nous l’avons battu avec acharnement mais et il continue à rire, Sire.
-Intensifiez les supplices et diversifiez les tortures!
-Nous l’avons fait, Sire mais il ne cesse de rire.
-Jetez-le au feu
-Mais votre majesté, il continue à rire de plus belle...
Le roi ressentit soudainement un besoin irrépressible de rire. Il se retira dans un endroit isolé, secoua ses membres boursouflés, se caressa les plis turgescents et renflés du ventre, se roula par terre, leva ses pieds et essaya de rire. Il produisit un braiment caverneux. Il essaya de nouveau et un hi-han lugubre sortit de sa bouche crispée. Une profonde tristesse l’envahit brusquement et il éclata en sanglots.
Aussitôt, il convoqua sa cour et ordonna qu’on le fasse rire comme à l’accoutumée.
Toutes sortes de simagrées clownesques, burlesques, grotesques et nombre de pitreries et de propos vaudevillesques lui firent présentés. Certains des présents se mirent à narrer des contes cocasses et des histoires drôles. Mais devant toutes ces bouffonneries et ces arlequinades, la tristesse du souverain s’approfondit. Il ordonna alors à l’assistance de rire à son tour, mais tous les présents ne réussirent qu’à produire toutes sortes de miaulements et une variété considérable de beuglements. Ils finirent, tous, par éclater en sanglots, à leur tour et se mirent à rouler par terre en inondant le sol de leurs larmes.
Le roi ordonna alors qu’on lui amène le prisonnier. Il le fixa longuement dans les yeux et finit par lui demander:
-Comment as-tu fait?
-Monseigneur, je suis injustement accusé, je suis un pauvre opprimé, un tyrannisé!
-Un tyrannisé ? Mes gardes ne t’ont-ils pas arrêté en flagrant délit de rire ? Demanda le roi.
-Ce n’était qu’un petit sourire, Sire!
Sur ce, le roi qui ne put contenir sa colère demanda à ses gardes de lui couper immédiatement la tête. Elle roula à ses pieds. Mais malgré cela, il semblait à toute l’assistance que le visage continuait à rire.
Alors, les conseillers du souverain lui proposèrent d’échanger sa royale tête, contre celle du condamné. En entendant ces propos le roi entra dans une colère encore plus forte
-La tête d’un roi peut-elle s’échanger contre celle du commun des mortels ?
-Mais votre majesté, c’est une tête qui rit
Le roi finit par ordonner, en catimini, qu’on lui ramène cette tête. Mais le geôlier tout en tremblant vint annoncer à son monarque:
-Votre majesté, votre majesté ! Le corps du prisonnier a disparu!
-Et sa tête ? Demanda le roi.
-Sa tête également, sire
Cette étrange nouvelle laissa le roi et toute sa cour, profondément abasourdis. La rumeur alla bon train. Et plusieurs versions circulèrent, envahissant la ville de leurs folles rumeurs. L’une d’elles avance que le ministre du roi l’aurait conservé pour lui. Une seconde soutient que la reine l’avait réservée à son fils. Une autre version affirme que la fameuse tête a fait l’objet d’une vente aux enchères clandestine.